Le professeur Bernard Haykel, directeur du Centre d’études du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à l’Université de Princeton, a récemment été interviewé par le journal Le Point. Lors de cet entretien, il a abordé un sujet surprenant : la politique de l’Arabie saoudite en matière de sport, et plus particulièrement de football.
Un changement de cap inattendu
Pendant des décennies, l’Arabie saoudite a encouragé la propagation de l’islamisme dans le monde entier. Les États-Unis eux-mêmes ont longtemps considéré ce pays comme un allié stratégique dans leur lutte contre le terrorisme islamiste. Mais depuis quelques années, les choses ont commencé à changer.
La politique extérieure de l’Arabie saoudite est désormais beaucoup plus axée sur le soft power que sur le hard power. Et le sport, en particulier le football, est devenu un outil privilégié pour atteindre cet objectif.
Pour comprendre cette évolution, il convient de se pencher sur les raisons qui ont poussé l’Arabie saoudite à adhérer à cette nouvelle stratégie.
Une volonté de modernisation
L’Arabie saoudite cherche à s’ouvrir davantage au monde et à se moderniser. Pour cela, elle doit faire face à de nombreux défis. Le premier d’entre eux est de diversifier son économie, jusqu’ici essentiellement basée sur le pétrole. Mais pour attirer des investisseurs étrangers et des touristes, il faut également changer l’image du pays.
Or, l’islamisme violent qui a sévi dans la région pendant des années a largement contribué à une image négative de l’Arabie saoudite dans le monde entier. En se concentrant sur le sport, en particulier le football, le pays souhaite montrer une autre facette de sa culture, plus ouverte et plus moderne.
L’objectif est double : il s’agit non seulement de changer l’image du pays dans les médias internationaux, mais aussi de donner aux jeunes Saoudiens une alternative à l’islamisme radical.
Un investissement massif dans le football
Pour atteindre ces objectifs, l’Arabie saoudite a investi massivement dans le football au cours des dernières années. Le pays a créé une ligue professionnelle, la Saudi Professional League, qui compte aujourd’hui 16 clubs. L’Arabie saoudite a également organisé la Coupe du monde des moins de 20 ans en 2019 et la Super Coupe d’Espagne en 2020.
Mais ce n’est pas tout : le pays a récemment signé un contrat de cinq ans avec la société espagnole Mediapro pour diffuser les matchs de football saoudiens dans le monde entier. Un accord qui permettra à l’Arabie saoudite de toucher un public beaucoup plus large, notamment en Europe et en Amérique latine.
Cet investissement massif dans le football doit permettre à l’Arabie saoudite d’atteindre ses objectifs de modernisation et d’ouverture au monde. Mais cela soulève également des questions.
Des critiques et des controverses
La politique sportive de l’Arabie saoudite n’est pas sans faire face à des critiques. Certains accusent le pays de vouloir seulement améliorer son image à l’étranger, sans réellement s’intéresser au développement du sport sur le long terme.
D’autres soulignent que l’Arabie saoudite est loin d’être un modèle en matière de droits de l’homme et que la situation des femmes dans le pays reste très préoccupante. En effet, celles-ci ne peuvent pas encore assister aux matchs de football dans les stades, même si des progrès ont été réalisés ces dernières années.
Enfin, certains s’interrogent sur le rôle que le sport peut jouer dans la lutte contre l’islamisme radical. Si le football peut permettre de détourner les jeunes Saoudiens de l’islamisme, sans doute est-il nécessaire de mettre en place d’autres politiques pour lutter efficacement contre cette menace.
L’Arabie saoudite a donc fait le choix surprenant de remplacer l’islamisme par le football, dans sa politique étrangère. Bien que cette stratégie puisse répondre à une volonté de modernisation du pays, elle soulève toutefois un certain nombre de questions et de critiques.
Il est donc nécessaire de continuer à suivre de près l’évolution de la politique sportive de l’Arabie saoudite, pour voir si elle permettra réellement au pays de progresser sur le long terme, et de lutter contre l’islamisme radical.

